Introduction
En tant qu’artiste pratiquant différents arts, j’ai souvent vu se confronter deux écoles.
Celle qui prêche la technique pour la technique, et celle qui prône le tout émotionnel.
Par exemple, en musique, certains cherchent à devenir des techniciens hors pair, sans forcément véhiculer quoi que ce soit avec leur musique.
D’autres, au contraire, veulent transmettre des émotions fortes, mais manquent des clés techniques nécessaires pour vraiment y parvenir.
Mais alors… qui a raison, et qui a tort ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre ce qu’est la technique en photographie et quelle est sa place réelle.
Ensuite, on peut aborder la question du message, de ce qu’on veut transmettre.
Et enfin, réfléchir à comment trouver un équilibre, et comment utiliser nos outils intelligemment, sans en devenir esclaves.
La technique en photographie
La technique en photographie — si l’on parle de technique mécanique pure — n’est pas la plus difficile à acquérir.
Étymologiquement, la photographie vient des mots photo (lumière) et graphie (écriture ou dessin).
Donc oui, la photographie, c’est littéralement : dessiner ou écrire avec la lumière.
À défaut d’avoir des pinceaux ou des crayons, nous avons ce qu’on appelle le triangle d’exposition.
Ce triangle représente la relation d’interdépendance entre trois paramètres fondamentaux : l’ouverture, la vitesse d’obturation et les ISO.
Pour expliquer ces trois notions de manière simple, j’aime utiliser une analogie avec l’œil humain.
L’ouverture
C’est sûrement la plus simple à comprendre.
Le diaphragme de l’appareil photo agit comme la pupille de votre œil :
- Il s’ouvre en environnement sombre pour laisser entrer plus de lumière.
- Il se ferme en environnement lumineux pour en laisser entrer moins.
Quand vous êtes en mode manuel, c’est vous qui contrôlez ça.
Et cette ouverture a un impact direct sur la profondeur de champ :
- Plus l’ouverture est grande (f/1.2), plus la zone de netteté est réduite.
- Plus l’ouverture est petite (f/11), plus la zone de netteté est étendue.
L’ouverture est exprimée en f/N, où f est la focale et N l’ouverture. Ce n’est pas une dimension en soi, mais un rapport entre le diamètre de la pupille d’entrée et la focale.
On notera donc f/1.2 pour une très grande ouverture, et f/11 pour une plus petite.
La vitesse d’obturation
C’est le temps pendant lequel l’obturateur — une sorte de rideau mécanique — va s’ouvrir pour laisser passer la lumière, puis se refermer.
Imaginez que vous ayez les yeux fermés, et que vous clignez des yeux :
- Plus vous clignez vite, moins la lumière pénètre.
- Plus vous gardez les yeux ouverts longtemps, plus la lumière entre.
C’est pareil pour votre boîtier.
Mais attention : plus vous laissez de temps à la lumière pour frapper le capteur, plus le mouvement dans la scène devient flou.
C’est ce qu’on appelle le flou de bougé.
La vitesse d’obturation est exprimée en secondes ou fractions de seconde :
- 1 sec = le capteur reste exposé à la lumière pendant une seconde entière. C’est très long, surtout à main levée.
- 1/2000 sec = très rapide, idéal pour figer des mouvements rapides (photo sportive, par exemple).
Les ISO
Comparés aux deux précédents, les ISO sont beaucoup moins artistiques.
Là où l’ouverture et la vitesse influent aussi sur l’esthétique de l’image (flou de profondeur ou flou de mouvement), les ISO sont purement techniques.
Les ISO correspondent à la sensibilité du capteur à la lumière.
- ISO 100 = faible sensibilité, parfait en plein jour.
- ISO 12800 = très sensible, adapté aux environnements sombres.
Mais attention : plus vous augmentez les ISO, plus vous ajoutez du bruit à votre image.
Ce bruit numérique se traduit par du grain qui peut détruire les détails de votre image.
À haute valeur, il altère même les couleurs, et réduit la dynamique (c’est-à-dire la capacité à bien gérer à la fois les hautes et basses lumières).
Donc oui, les ISO sont pratiques pour « compenser », mais à utiliser avec prudence. Ils vous offrent plus de flexibilité, mais au prix de la qualité d’image.
La compréhension du triangle d’exposition et de ses interdépendances est donc essentielle pour avoir une bonne base technique.
Mais bien sûr, la technique ne s’arrête pas là.
Elle inclut aussi :
- la gestion de la lumière (naturelle ou artificielle),
- la maîtrise de la mise au point,
- l’utilisation des focales,
- et la post-production (colorimétrie, courbes, plage dynamique, etc.).
Mais… maîtriser la technique fait-il de vous un bon photographe ?
À mon sens, non.
Vous serez sans doute un bon exécutant, un bon technicien, mais pas un bon artiste.
Alors… comment fait-on ?
Le message à faire passer
Comme on l’a vu, la photographie, c’est écrire avec la lumière.
Et qui dit écriture dit… communication.
On veut dire quelque chose, transmettre.
Maîtriser le langage photographique est crucial.
Mais encore faut-il avoir des choses à dire.
Dans un autre article, je parle de la puissance émotionnelle de la photo.
Pour moi, l’émotion, le ressenti, la sensibilité humaine sont au cœur du message photographique.
Et cela peu importe le domaine :
- photo de mode,
- portrait,
- reportage de guerre,
- photo produit…
Dans tous les cas, il y a un message à transmettre.
Tantôt : « Regardez la violence de cette frappe aérienne sur un immeuble civil. Mobilisez-vous. »
Tantôt : « Achetez cette canette de soda, vous passerez un bon moment et vous vous rafraîchirez. »
Et ce message ne peut pas être dissocié de celui qui le porte.
Autrement dit : il est temps de parler de vous.
Qui êtes-vous ?
Qu’avez-vous vécu ?
Que voulez-vous vivre ?
Que voulez-vous dire au monde ?
Parce que dès l’instant où vous entrez dans un acte artistique,
vous devenez une partie de votre œuvre.
C’est là que revient souvent la fameuse question :
« Comment trouver ma patte, mon style ? Comment me démarquer ? »
Et bien, en vous recentrant sur vous-même.
C’est là que réside la vraie difficulté de devenir photographe (ou artiste, en général).
Tout le monde peut apprendre la technique, aujourd’hui.
Des centaines de milliers de photographes le prouvent.
Les appareils deviennent de plus en plus intelligents, les smartphones aussi.
Mais ce que peu osent faire, c’est fouiller au fond d’eux-mêmes.
Aller chercher ce qu’ils veulent exprimer.
Exposer une part de leur âme, et faire face au retour du monde.
Et ça, ça demande du courage.
Parce que si vous êtes vous-même, vraiment, vous serez forcément clivant.
Pas par provocation.
Mais parce que certains aimeront, et d’autres non.
Et si vous avez mis votre cœur dans votre image, cela peut faire mal.
Parce que ces critiques ne toucheront pas juste « une photo », mais vous.
Mais rappelez-vous cette phrase :
« Plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui. »
Et franchement, qui veut plaire à n’importe qui ?
Si vous avez la patience, le courage et l’honnêteté d’aligner votre technique avec votre vision,
alors vous finirez par créer votre propre langage.
Et c’est là que réside la vraie puissance de la photographie.
Mais pour y parvenir, il faut d’abord… maîtriser l’outil.
Appréhension et usage d’un outil
La technique, en réalité, n’est qu’un outil.
Ni plus, ni moins.
Comme un marteau pour un bricoleur.
Comme une raquette pour Nadal.
C’est un prolongement de vous, pas un obstacle.
L’idée, c’est de ne plus en être esclave.
De vous en affranchir par la maîtrise.
Que votre boîtier devienne une extension naturelle de votre œil, de votre esprit.
Idéalement, vous ne devriez même plus avoir besoin de regarder vos réglages.
Vous devriez pouvoir exposer au jugé, composer sans même coller votre œil au viseur.
Bien sûr, cela demande du temps.
Mais ce temps, vous l’avez. Toute une vie.
Parce que chaque seconde passée à regarder vos doigts pour ajuster les ISO,
ou à chercher comment positionner votre flash, c’est une seconde de création perdue.
C’est une entrave à votre spontanéité.
Et une fois que vous aurez mis l’outil à votre service — et non l’inverse —
vous aurez gagné une grande bataille.
Et si, en parallèle, vous avez pris le temps de construire votre regard,
de laisser vos influences personnelles vous façonner, et que vous avez trouvé ce que vous avez à dire, alors là, vous devenez un vrai artiste.
Vous êtes bilingue.
Vous parlez la langue de la technique, et celle de l’émotion.
Conclusion
Maîtriser la technique est essentiel, mais ce n’est qu’un point de départ.
C’est une grammaire, un vocabulaire. Un langage.
Mais un langage ne vaut rien si l’on n’a rien à dire.
Être photographe, ce n’est pas simplement savoir régler un boîtier.
C’est savoir pourquoi on le fait.
C’est assumer son regard, son message, sa sensibilité.
C’est accepter d’être imparfait, parfois incompris, mais profondément sincère.
La technique vous servira à structurer vos idées, à donner du corps à vos émotions.
Mais c’est votre regard, et ce que vous osez mettre de vous dans vos images, qui leur donnera une vraie force.
Alors apprenez, entraînez-vous, perfectionnez vos outils.
Mais surtout : exprimez-vous.
Parce qu’au bout du compte, ce sont les photos qui parlent avec l’âme qu’on n’oublie jamais.